Au rythme du conflit israélo-palestinien…

C’est une expérience tout à fait unique et combien enrichissante que d’avoir fait partie de cette délégation politique qui s’est rendue en voyage d’étude en Israël et Palestine !

Grâce à un programme riche, varié et équilibré entre les différents protagonistes (un grand bravo à l’UEJF pour son travail et sa recherche d’objectivité) nous avons eu accès à une vision bien plus proche de la réalité que les habituels clichés véhiculés en Europe ou les analyses simplistes que l’on nous présente souvent.

Israël

Ce pays est assez hors norme, par son histoire mais surtout par son peuple (je ne rentre pas ici dans les débats de sémantique autour de la notion de peuple juif). L’attachement à la nation d’Israël est très fort et même souvent avec une dimension spirituelle et émotionnelle majeure (religion, sionisme, rapport à la Shoah…). Par ailleurs, l’histoire  récente et le développement très rapide de ce pays explique la mentalité de pionnier, de bâtisseur et d’entrepreneur de son peuple. Il y a là des parallèles évidents avec la société américaine.

Cette spécificité se retrouve aussi dans la réussite économique du pays et en particulier dans le domaine de l’innovation et de la haute technologie (4% de croissance). Revers de la médaille, comme souvent dans ce type d’économie très libérale qui fait la part belle à la réussite individuelle, parfois fulgurante, c’est l’augmentation exponentielle des inégalités. Ainsi, une élite économique s’est fortement enrichie ces dernières années alors que, dans le même temps, une partie importante de la population s’est paupérisée (entre 20 et 25% de la population sous le seuil de pauvreté !).

Ce problème social majeur devrait en principe déterminer la vie politique israélienne, ce qui n’est pas le cas, la faute au souci sécuritaire qui passe avant tout. Finalement, le conflit a entraîné des évolutions importantes dans la classe politique et a débouché sur certaine bizarrerie de gouvernance. Ainsi, la gauche israélienne (qui fut le bâtisseur du pays jusqu’en 1977 avec des personnalités comme Ben Gourion, Golda Meir, Shimon Peres) a payé durement l’échec des négociations de paix de Camp David II en 2000 (gouvernement d’Ehud Barak). Elle connaît, depuis 10 ans, un déclin majeur. Le pouvoir a donc été exercé ces dernières années par la droite (Likoud) et le centre droit (Kadima). Depuis 2009, Benyamin Netanyahou, le leader du Likoud, est Premier ministre grâce à une alliance avec la gauche (qui est en train de se scinder en deux) contre le parti centriste arrivé en tête aux législatives ! Cette situation pour le moins curieuse entraîne une politique attentiste qui privilégie une gestion du conflit plutôt que sa résolution.

Par ailleurs, la politique actuelle de colonisation des territoires palestiniens, faite de pauses et de reprises, est très critiquable et contradictoire. Ainsi, ces colonies sont présentées comme provisoires. Pouvant être relativement faciles à démanteler en cas de paix (certains colons sont assez fatalistes sur le sujet), elles représentent une sorte de monnaie d’échange pour de futures négociations. Un tel argument se heurte cependant à l’exacerbation des tentions que leur existence même suscite chez les palestiniens. Ce qui n’est guère propice à l’engagement de négociations sereines…

Devant cette situation, la population israélienne (très diverse) semble ne plus vouloir entendre parler du conflit (trop de souffrances passées) et aspire à vivre le plus normalement possible. Cette envie de profiter de la vie est très palpable dans une ville jeune et dynamique comme Tel-Aviv. La jeunesse se désintéresse de la vie publique, aidée en cela par des médias qui peopolisent l’actualité (les plus grosses audiences télévisuelles pour le loft !). C’est un problème majeur pour les partis politiques et la démocratie israélienne (certaines personnalités telle que Colette Avital, tentent de lutter contre ce phénomène).

Finalement, Israël manque actuellement d’un grand leader politique (comme elle en a connu dans le passé) capable d’entraîner une adhésion populaire autour d’un projet à long terme passant par une résolution définitive du conflit israélo-palestinien.

Les palestiniens

Ce qui est évident, c’est que les palestiniens sont les premières victimes de la non résolution du conflit. Leur vie quotidienne est rendue compliquée surtout en matière d’accès à l’emploi et de déplacements avec les ralentissements des check-points et la barrière de sécurité (sous la forme d’un mur sur une partie très réduite de son tracé).

L’autorité palestinienne doit faire face à de multiples problèmes internes. Depuis la disparition de Yasser Arafat, sa figure historique, le Fatah est confronté à la dérive islamiste du Hamas (qui dirige la bande de Gazza) et à des problèmes récurrents de corruption.

Par ailleurs, les dirigeants palestiniens ont eux aussi un double discours empreint de contradictions. Ainsi, des personnalités comme Yasser Abd Rabbo ont une approche pragmatique qui considère que la paix est possible plus rapidement qu’on ne le pense, mais en même temps elles valident, même implicitement, une communication très anti-israélienne auprès de la population palestinienne, que des médias comme Al-Jazeera (qui fait clairement le jeu du Hamas) accentuent. Tout cela ne facilite pas, là non plus, l’engagement de négociations sereines…

L’un des problèmes-clé pour le peuple palestinien réside dans la situation des réfugiés. Il y a ceux qui se trouvent dans des camps situés dans les pays arabes voisins et dont le retour, dans le cadre d’un éventuel traité de paix, pose de multiples questions. Leur retour ne semble envisageable que sur le territoire du futur Etat Palestinien, Israël ne pouvant les accueillir sur son propre territoire pour des raisons de basculement démographique. Mais, il existe également des camps de réfugiés dans les territoires palestiniens actuels, comme celui de Balata à Naplouse (un des plus importants de Cisjordanie) où la situation sanitaire, sociale et plus généralement humaine est intolérable. Dans ce camp « en dur », 25 000 personnes vivent dans des maisons de fortune avec presque pas d’électricité, pas de service de gestion des déchets, un chômage de masse…Là encore, la raison de cette situation persistante peut laisser perplexe…

La France, par exemple, a versé ces 3 dernières années 200 M€ à l’autorité palestinienne, ces fonds devant être utilisés pour de multiples projets. Si la réalisation des objectifs peut être sujet à débat (actuellement le contrôle de ces fonds est confié à des cabinets privés, ce qui n’est peut-être pas l’idéal…), c’est surtout le choix des priorités qui doit susciter l’interrogation. Ainsi, on constate à Ramallah des buildings flambants neufs, souvent à vocation administrative, qui dénotent avec la situation des camps, quelques kilomètres plus loin. Le choix des priorités effectué par l’autorité palestinienne serait-il également guidé par une volonté de maintenir en place des « poudrières humaines » pour faire pression sur ses interlocuteurs ?…

Une note d’espoir cependant : le Premier ministre de l’autorité palestinienne, Salam Fayyad, politique modéré ayant fait une partie de ses études en Occident, semble vouloir arriver rapidement à une solution de compromis et son autorité a plutôt tendance à se renforcer, au moins en Cisjordanie.

L’ingérence étrangère

C’est une constante depuis 60 ans : ce conflit local n’a jamais cessé d’être au cœur d’enjeux plus vastes et l’objet de manipulations diverses.

Les raisons et les circonstances sont multiples et plus ou moins connues comme le démantèlement de l’Empire Ottoman, la  guerre froide, la proximité des pays pétroliers, le prétexte religieux…

Finalement, ce conflit est surtout territorial et porte sur un espace assez réduit principalement constitué de désert. L’écrasement des distances est d’ailleurs une des choses qui marquent : entre Tel-Aviv, au bord de la Méditerranée, et la Jordanie, il y a moins de 100 kms et quasi-visible à l’œil nu.

Ce fut le talent de Yasser Arafat avec l’OLP d’en faire un enjeu majeur pour la région et même pour le monde (par la mise en cause de l’équilibre des pays voisins dans les années 70 et 80, puis à travers une communication de grande qualité avec l’Occident à partir des années 90).

Les Etats-Unis ont depuis longtemps défini une politique étrangère pour le Moyen-Orient, qui fut plus ou moins probante au cours des années mais qui n’a pu, en définitive, aboutir. Actuellement, la politique de Barak Obama est clairement en échec, malgré sa volonté de rompre avec des positions trop partisanes.

Les pays arabes de la région ont également toujours eu diverses influences, parfois contradictoires et souvent en privilégiant une volonté d’affirmer leur leadership régional plutôt que d’aider les palestiniens dont le sort intéresse peu. Ainsi l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, l’Irak ont joué et jouent encore un rôle majeur. Aujourd’hui, c’est surtout l’Iran et la Syrie qui favorisent l’islamisation du conflit par l’intermédiaire du Hezbollah chiite, ce dernier tissant même des relations étroites avec le Hamas sunnite.

La France, pour sa part, est sans doute le pays qui, au fil des décennies, a su établir les relations les plus équilibrées avec les différents protagonistes. Allié ancien d’Israël dès les années 50, avec d’importantes collaborations économiques et militaires à une époque où les américains étaient plutôt hostiles à l’Etat juif (Shimon Peres, actuel Président d’Israël, fut un conseiller de Guy Mollet, Président du conseil en 1956). Par la suite, sous le Général de Gaulle et avec des personnes telles que Couve de Murville, la balance fut nettement rééquilibrée en faveur des palestiniens. Notre pays a toujours su ménager les deux camps jusqu’à Jacques Chirac. Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, le déséquilibre est beaucoup plus net et en faveur d’Israël, ce qui nuit considérablement à notre image auprès des palestiniens.

Aujourd’hui, des personnalités majeures des deux camps tels que Benny Begin et Yasser Abd Rabbo manifestent clairement la volonté des protagonistes de ne plus voir d’ingérences extérieures. Depuis des décennies ce conflit est pavé de bonnes intentions de paix venues de l’étranger. Le résultat n’est pas brillant et un pays comme la France qui, par son histoire singulière dans la région, peut encore jouer un rôle, doit impérativement innover dans son approche et sa méthode

Les perspectives d’avenir

Quand on rencontre sur place les différents acteurs politiques, économiques, sociaux d’Israël et de Palestine, on ne cesse d’aller d’espoir en résignation. La paix semble à portée de main et en même temps structurellement impossible.

L’espoir doit être recherché chez les modérés et les pragmatiques des deux camps. Probablement aussi auprès d’une nouvelle génération de dirigeants, moins liés par le poids de l’histoire. Des leaders doivent émerger de chaque coté afin d’obtenir rapidement ce que beaucoup considèrent comme inévitable : la création d’un état palestinien capable de vivre en paix avec son voisin israélien.

Les échanges entre les deux peuples doivent être encouragés. Il faut saluer, ici, des initiatives telle que l’équipe de foot mixte (judéo-arabe) d’Abou Gosh.

Des problèmes « techniques » doivent trouver des solutions de compromis tel que le statut de Jérusalem.

Enfin, il faut espérer que les pays arabes voisins, qui sont à l’aube de changements politiques majeurs (comme l’Egypte ces jours-ci), iront vers la démocratie et donc la paix plutôt que vers l’islamisme et la radicalisation.

C’est toute une jeunesse au Moyen-Orient qui a grandi au rythme du conflit israélo-palestinien qui se prépare à prendre en main sa destinée

Découvrir les photos de la délégation

 

Adrien Debever

5 réflexions au sujet de « Au rythme du conflit israélo-palestinien… »

  1. En ayant parlé avec Fx hier, il a effectivement semblé que ce voyage était extrêmement intéressant, du fait que vous ayez pu rencontrer à la fois des leaders palestiniens et des leaders israéliens.

    Donc j’aimerais avoir quelques petits développements sur un certain nombre de points après les échanges que vous avez pu avoir.

    Déjà, d’après toi/vous, quelle serait la solution concernant la bande de Gaza et le Hamas?

    Ensuite, que faire des colonies? Et du mur également? Parce que ces deux éléments combinés contribuent difficilement à avoir un territoire palestinien d’un seul tenant, sur le long terme j’entends.

    La question de l’eau?

    Je vais être chiant, mais j’aimerais aussi que tu utilises l’éclairage que t’as donné ce voyage pour répondre aux questions.

  2. De façon générale, il faut aborder ces problèmes avec beaucoup d’humilité et sans avoir la prétention d’y trouver des solutions mais simplement de se faire une idée sur la base de faits les moins édulcorés et déformés possible.

    Concernant Gaza, on n’a pas eu le temps d’aller voir sur place mais il est évident que la domination du Hamas (avec les influences radicales du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran) complique les choses. La situation sociale y est très problématique et les habitants vivent vraiment enfermés entre Israël qui a retiré ses colonies dans ce territoire mais qui a fermé les frontières et l’Egypte qui a fait à peu près de même. Je pense que la solution pour ce territoire découlera d’un accord de paix qui sera venu plutôt de la situation Cisjordanie/Israël, par ailleurs les évolutions politiques en Egypte amèneront peut-être des changements à Gaza…mais dans quel sens ?

    Pour les colonies, comme je l’ai dit dans mon article, on constate sur place le double jeu et le double discours des autorités israéliennes actuelles. C’est un jeu de poker menteur qui en effet ne me semble pas très propice à de sereines négociations de paix. Sur ce point il faudra peut-être attendre des évolutions politiques en Israël et des changements de majorité ou d’alliance…

    Concernant le mur il faut déjà dire que le terme n’est pas vraiment juste, mais utilisé parfois sciemment, puisque sur 90% du tracé il n’y a pas de mur juste une frontière électronique. Cela dit, il rend compliqué les déplacements des palestiniens et en particulier leur accès à l’emploi. C’est clair que là aussi cela ne favorise pas les négociations et son tracé est discutable puisqu’il ne suit pas les frontières de 67 (la fameuse ligne verte). Concernant les tracés de frontière, il y en a eu beaucoup et souvent réalisés à la va-vite après des cessez-le-feu. Je pense que tout cela doit être un peu mis de coté et les négociations doivent se faire sur une base unique : la nécessité de la paix ! Après les compromis doivent être fait de chaque coté pour que cela soit vécu à la fois comme un effort commun mais tout en restant acceptable. Pour arriver à cela, il ne faut pas trop se baser sur les éléments qui depuis des décennies bloquent toutes solutions.

    Enfin, la question de l’eau, qui fut, en effet, essentiel dans cette région depuis longtemps et qui a guidé de nombreux choix politique, semble en voie d’amélioration et de simplification avec un large programme de désalinisation de l’eau mit en place par Israël. Donc à suivre les résultats et la montée en puissance de cette solution…

    Voilà Thibaut, j’espère avoir un peu répondu à tes questions.

  3. Oui oui effectivement, cela rejoint en grande partie ce que je pense déjà (en ayant déjà passé 2 mois dans la région), donc jusque là tout va bien.

    Je suis d’accord que la paix doit être dans tous les esprits au moment de faire les négociations, mais le fait est que c’est cet esprit qui a présidé les accords d’Oslo en 1993.
    Or le problème des accords d’Oslo est justement qu’ils étaient incomplets et qu’ils ne traitaient pas des questions les plus importantes concernant les colonies, entre autres (de plus à ce moment là le mur, ou si tu préfère appelons cela une barrière, n’existait même pas).
    Or les accords d’Oslo ont été un espoir immense de chaque coté, mais on voit bien ce qu’il en est presque 20 ans après.
    Donc je pense que si accord il y a à nouveau, il faudra que des négociations soient faites sur ces différentes questions au préalable, pour signer un accord de paix satisfaisant toutes les parties au conflit et n’occultant aucune de ces questions, qui sont primordiales.

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